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Le thème du paysage ne s’oppose pas, et même invite aux échappées surréalistes. En voici une comme entrée en matière. Par suite d’une peu croyable coïncidence de dates, et aussi de la parenté des thèmes, j’avais depuis des mois confondu deux colloques dans mon agenda : l’un organisé à Paris du 23 au 24 mai 2019 sous le titre « Le regard écologique », l’autre à Toulouse du 22 au 24 mai sous le titre « Approches écosystémiques et sensibles du paysage : des sciences de la nature aux arts du paysage ». Programmé dans les deux colloques, mais ne pouvant me dédoubler, j’avais dû in extremis me résoudre à choisir le premier, auquel je m’étais engagé d’abord. Quant au second, je remercie Anaïs Belchun de me donner la chance de me rattraper avec cette petite préface, en effectuant la boucle que voici :
Les articles regroupés dans ce numéro thématique mettent en relation deux thèmes majeurs de la pensée contemporaine : le paysage et l’écologie, en croisant démarches théoriques et pratiques, selon une approche interdisciplinaire.
De son premier roman Colline à l’Iris de Suse, en passant par la nouvelle L’Homme qui plantait des arbres, la nature et le paysage ont une place prédominante dans l’oeuvre de Jean Giono. Si une part de la critique (et des lecteurs) a pu y voir une « merveilleuse leçon d’écologie », pour reprendre les termes de Dominique le Brun, d’autres se montrent plus prudents à l’instar de Jacques Chabot ou Walter Wagner. Car si l’on peut assimiler la pensée panique, le « rond du monde », chère à Giono, au concept morinien de « reliance », force est de constater l’absence d’engagement écologiste au sens politique. Ainsi, peut-on parler d’une écologie littéraire dans l’oeuvre de Jean Giono et selon quelles modalités ?
À partir d’une étude terminologique détaillée du mot « paysage », il s’agit de définir les limites de notre acception contemporaine du paysage. Il s’agit ensuite d’apprécier les traits typiques de l’art écologique. Afin de composer le mot escompté, nous allons sélectionner, classer et synthétiser les signifiés requis.
L’écologie étudie les relations entre les êtres vivants et leur milieu de vie. Une approche culturelle des problématiques écologiques interroge les relations sensibles et signifiantes que nous, humains, établissons avec nos milieux de vie. Le paysage nous permet d’aborder ces questions de manière sensible. La notion même de paysage est remise en question par l’approche écologique. Je propose cependant de reconsidérer l’intérêt d’une approche paysagère, à condition d’élargir le sens de cette notion, en identifiant différents modèles paysagers, et en les interrogeant au regard de l’écologie. Cette proposition se fonde sur une distinction entre la fiction verte et l’écopoétique. La fiction verte est constituée de représentations issues d’une approche superficielle de l’écologie : le paysage-décor, le paysage-émotion, le paysage-spectacle et le paysage-catastrophe. Les pistes qui s’avancent vers une écopoétique paysagère expriment une approche plus profonde, à travers les modèles du paysage-système, du paysage-cosmos, du paysage-vivant et du paysage-milieu de vie. Une traversée critique de ces différents modèles paysagers nous permettra de saisir les enjeux écologique du paysage, qui reflète notre vision du monde et de notre manière d’interagir avec notre milieu de vie commun : la Terre.
L’agriculteur intervient sur son paysage quotidien. A l’heure où les questions d’écologie s’affirment, certains agriculteurs choisissent d’implanter quelques centaines d’arbres sur leurs terres, les associant à une autre culture ou des animaux (agroforesterie intraparcellaire). Ce sont aussi des personnes en reconversion, qui choisissent un nouveau mode et lieu de vie. Que dessinent-ils ? A partir d’une étude menée en Haute-Garonne, nous observons que les agriculteurs agroforestiers cherchent à élaborer leur paysage en y intégrant des rêves et leur souci écologique. Le paysage devient le canal et le lieu d’expérimentation et d’expression d’une construction écologique du rapport au monde. Avec une méthode empirique et compréhensive, aidée des outils du projet de paysage, nous verrons comment aspirations paysagères et écologie ont à voir ensembles.
Science d’observation par excellence, l’écologie est progressivement devenue une discipline attachée aux normes, aux microscopes, aux modèles virtuels abstraits éloignés de la réalité du terrain. Lorsqu’il s’agit d’aborder l’étude des paysages, l’écologie peine à formaliser son champ de connaissances de manière à acquérir une véritable dimension opérationnelle. Elle a pourtant toute sa place dans les écoles formant les paysagistes dont les pratiques consistent à imaginer un nouvel environnement spatial, en intégrant les données de la nature combinées à celles produites par les sociétés. Elle participe également au renouvellement des modes de représentation paysagère en proposant de nouvelles approches adaptées à la démarche de projet. C’est dans la discussion et par le raisonnement que les représentations participent à la construction d’une pensée paysagère complexe et d’un savoir qui s’enrichit par l’action.
La gestion actuelle des massifs d’arbustes induit des coûts importants pour leur entretien. Les pratiques de taille ne sont pas toujours adaptées et exercent une forte pression sur le végétal. Elles sont l’héritage de coutumes anciennes. Pour comprendre au mieux le rapport entre l’homme et le végétal, il est nécessaire de developper une approche adaptée. Nous avons tenté d’élaborer une méthodologie d’étude s’appuyant sur des travaux issus de la recherche forestière, du management d’entreprise et des sciences de la géographie. L’objectif principal est de révéler et/ou identifier le lien entre l’homme et le végétal, leur nature propre et leurs influences réciproques, afin de diminuer la pression humaine sur le végétal et par conséquent sur le milieu naturel. L’espace jardiné est considéré comme une interface géographique. Le végétal est analysé sous l’angle de l’approche architecturale paysagère. Les professionnels du paysage sont intégrés dans l’approche processus.
Gianni Burattoni a participé, en tant qu’artiste spécialiste du jardin et du paysage, à un projet de réhabilitation paysagère à grande échelle, dans la région de la Goitsche en Allemagne. Il s’agissait de reconvertir cette ancienne région industrielle en un « paysage culturel », associant des enjeux culturels, écologiques et esthétiques. Cet article présente les choix artistiques ayant guidé l’aménagement du « Carré Vert », avec des installations artistiques conçues par l’auteur. Ces choix étaient fondé sur la reconnaissance des transformations perpétuelles des paysages, au-delà des distinctions entre l’évolution naturelle et l’activité humaine. Ils prennent en compte l’histoire industrielle des lieux, ainsi que leurs caractéristiques écologiques actuelles, pour proposer une nouvelle manière de les habiter.
Le chant active à la fois des fonctions corporelles, des sièges émotionnels et une production intellectuelle. Les trois entrent par le chant en échange avec l’espace dans lequel se trouve le chanteur. En montagne pour les montagnards des communautés d’altitude, cet espace correspond à une source majeure de nourriture pour le corps physique, d’expériences pour l’affect et d’inspiration pour l’intellect. Le chant est à la fois un hommage, une conversation, et une négociation avec cette Nature qui peut se montrer généreuse comme avare, bienveillante comme menaçante. A travers des exemples tirés de recherches menées dans les Pyrénées françaises et dans les Andes argentines, cet essai permettra de découvrir comment la fonction et le fonctionnement du chant ancestral forgent, maintiennent et soignent des relations complexes et essentielles avec le monde naturel, et comment la perspective environnementale qu’ouvrent ces relations s’approchent d’une réflexion contemporaine sur l’écologie telle que la pratique des chercheurs comme Arne Naess, Isabelle Stengers, Donna Haraway ou Brian Massumi. Une relation au lieu qui est un engagement profond fusionnant émotion et politique, corps et espace.
Ce texte propose, au regard des notions de « maillage » (mesh) et d’« étranges étrangers » (strange strangers) développées par Timothy Morton, de questionner les moyens esthétiques du cinéma, lorsqu’il s’attèle à saisir des phénomènes écologiques dont les arts paysagers issus du modèle pictural classique achoppent à former une image pertinente. L’étude de Leviathan (Castaing-Taylor & Paravel, 2012) sera l’occasion de questionner le paradoxe qui consiste à vouloir penser conjointement écologie, conscience (et expérience) du milieu et persistance du modèle paysager.
À partir d’une installation art-science autour de la perception du végétal notamment au niveau sonore, nous interrogerons plus largement notre relation au vivant. La question de l’impossibilité de comprendre l’alterité des mondes perceptifs de chaque organisme est un des axes qui est articulé dans cet article autour des pôles de production de connaissances que sont la science et les arts. Le monde végétal nous invite à revoir nos catégories de pensées usuelles telles que la mémoire, l’individualité, le temps, l’identité, la séparabilité.
La démarche artistique que nous présentons dans cet article s’inscrit dans une perspective paysagère que nous analyserons selon une approche complexe et écosystémique. L’oeuvre dont il est question, intitulée Luminale, actualise la figure de la cabane pour interroger nos rapports aux environnement et aux technologies, tout en se construisant à travers une multiplicité de paysages. En référence à des philosophes qui prônent une vison modeste et poétique de l’habitat (Thoreau, Bachelard), nous étudions dans un premier temps en quoi cette figure de la cabane nous permet d’interroger l’habitat et la technique dans une dimension nomade. Dans un second temps, le présent article s’intéresse davantage à l’aspect sauvage qui se dégage de l’installation Luminale. En nous appuyant sur le travail de théoriciens ayant abordé des questions de dispositifs interactif (Couvhot), d’espace plastique (Guerin) et notamment la notion de figural (Deleuze) nous verrons comment la scénographie interactive de Luminale immerge les spectateurs dans un écosystème artistique singulier. L’expérience de l’oeuvre permet en effet de revisiter les paysages visuels et sonores à partir desquelles elle a été constituée, nous invitant alors à ralentir pour prendre le temps d’observer et d’écouter l’environnement.
Cet article ouvre une réflexion sur les enjeux de la rencontre entre l’art et l’anthropologie et conjointement sur les relations qui se nouent entre la fiction et le documentaire. La réflexion s’initie dans une expérience concrète de l’ailleurs qui invite à repenser les limites de la construction des mondes, comme celles des disciplines. Deux oeuvres étudiées problématisent cette rencontre : La mangeuse de pierres (2019) de Célia Riboulet et Juegos de Herencia (2011) de Clemencia Echeverri.
Mon approche du paysage, en tant que designer olfactif, interroge le rapport de l’humain avec son environnement : l’écologie. À partir du projet Montalbanez : paysage(s) olfactif(s) de Montauban, je m’intéresse à quelques notions autour de l’écologie. Dans ce propos, la notion globale et floue d’ « écologie », succède à une période que l’on peut qualifiée de « proto-écologie » où l’on s’est essentiellement intéressée à des questions sanitaires. L’olfaction, sens chimique et communicationnel, relève de l’écologie en tissant des liens invisibles entre les individus et l’environnement. L’écologie olfactive : une « bioculture », une culture vivante du vivant permet de traduire le monde invisible en monde perceptible en lui donnant forme. Cette première forme olfactive dominante de Montauban semble être une « note verte ». Cette senteur produite par la végétation chlorophyllienne semble envahir le paysage olfactif montalbanais appelé aussi « ville-campagne ».
L’atelier, espace intime de l’artiste, reflète un cheminement de création poïétique. Il est un lieu propice à la recherche, à l’expérimentation sensible afin de développer une pratique plastique singulière. Ainsi je perçois l’atelier comme un écosystème où se crée une interaction entre un être (le designer plasticien), un phénomène (la création) et un objet d’étude in visu (le motif de la forêt dans l’album jeunesse). A travers l’étude de la forêt, qui a une importance particulière dans le conte, puisqu’elle est le lieu où se déroule de nombreuses péripéties issues du schéma narratif et la conception d’ateliers pédagogiques et artistiques autour de l’écologie en école primaire ; je désire refléter la démarche de pensée (interprétation) et d’invention (illustration) d’un paysage graphique et plastique (coloration).
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